Résumé : |
Le monstrueux est-il indicible ? La question relève du paradoxe : si l'horreur et l'inhumanité trouvent peu d'expression à la hauteur de leur excès, le monstrueux doit malgré tout être montré, car monstrum est son étymon. Qui plus est, dès lors que le monstre ne relève pas d'une anomalie tératologique mais prend la figure très humaine du bourreau, se pose la question de sa représentation par la littérature. Comment celle-ci peut-elle donner forme à l'informe ? Faire le choix d'un roman à la première personne tourné vers la subjectivité du criminel impose une interrogation éthique, d'autant plus lorsqu'il s'agit de crimes historiques : comment le roman peut-il articuler écriture personnelle du dictateur et engagement du romancier ? Lieux privilégiés d'une parole directe du dictateur, ces fictions au premier rang desquelles figurent Yo el Supremo de Roa Bastos, El otono del patriarca de Garcia Marquez, El recurso del método de carpentier, Autobiografia del general Franco de Vazquez Montalban, the Coup d'Updike ou encore Le protecteur de Bourbon Busset, constituent de singuliers romans du pouvoir : que disent-ils qu'eux seuls peuvent dire ? Partant de l'énigmatique formule de Kundera, nous tenterons de saisir la spécificité de cette méditation romanesque au-delà de la critique traditionnelle inhérente aux romans du dictateur. A la lumière de l'anthropologie littéraire, entre mythe moderne et quête identitaire, ces romans du scandale disent le monde du pouvoir, l'excès de l'omnipotence en même temps que son échec et sa solitude essentielle : serait-ce alors dans l'expérience de la désolation livrée au lecteur que résiderait la singularité de ces romans ?
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