Résumé : |
Introduction : Les Inégalités Sociales de Santé (ISS) sont une réalité en France et une priorité de santé publique pour l'Organisation Mondiale de la Santé. Le médecin généraliste (MG), par sa place privilégiée dans le système de soins, appréhende directement le contexte social des individus. Il est donc en mesure d'éviter d'accroître ces ISS, et peut contribuer à les diminuer. Cela implique qu'il adopte une attitude proactive pour recueillir des informations sur la situation sociale des patients, afin d'adapter sa prise en charge à leurs besoins, d'évaluer sa pratique, et de fournir des données de santé publique. Dans ce sens, des recommandations du Collège de la Médecine Générale publiées en mars et diffusées en juillet 2014, invitent à l'enregistrement dans les dossiers de 16 critères définis. L'objectif de notre travail était d'explorer, dans une perspective compréhensive, le recueil actuel de données sociales par les MG, et leur perception de ces nouvelles recommandations. Matériels et méthodes : Une étude qualitative par entretiens semi-dirigés auprès de 25 MG des Pays de la Loire, suivie d'une analyse thématique par codage en double aveugle, a été conduite. Ce travail a été réalisé en binôme. Résultats : Les MG recueillent peu ces critères de manière active, notée, et organisée. Ils pensent connaître ces informations par ressenti ou par le suivi au long cours de leur patientèle, et les recueillent de manière passive ou indirecte. Les données administratives sont recueillies systématiquement, les données professionnelles le sont souvent. L'assurance maladie est souvent recueillie par la carte vitale, l'existence d'une mutuelle est peu recueillie. Les capacités de compréhension du langage écrit sont ressenties mais non recueillies via un critère formalisé. La catégorie socio-professionnelle et le niveau d'études sont souvent jugés redondants et moins pertinents que la profession. Les données familiales, le fait de vivre seul, la situation vis-à-vis du logement, le pays de naissance sont recueillis de manière variable selon la situation et son vécu. Les données financières sont peu recueillies car jugées sensibles, intrusives et s'éloignant du champ d'action du MG. Une typologie des MG, visant à comprendre les disparités de leurs réactions, montre que le champ des critères jugés légitimes à recueillir varie selon leur conception du soin et leur sensibilisation aux ISS. Si l'intérêt individuel pour la prise en charge du patient est bien envisagé, l'intérêt de connaître sa patientèle ou de produire des données de santé publique est peu retrouvé. Les MG affichent une volonté de soins similaires pour tous les patients, qui rend sensible et plus ou moins légitime ce recueil de données, considéré à risque de stigmatisation et de pratiques différenciées. Conclusion : Si le recueil de données sociales s'inscrit dans la pratique routinière des MG, de manière variable selon leur conception du soin, l'enregistrement organisé de ces données tel que celui recommandé est éloigné des pratiques effectives. Pourtant, ces recommandations interrogent et intéressent. Une sensibilisation au modèle bio-psycho-social, et une amélioration de la formation sur les déterminants sociaux de la santé et les ISS permettraient de valoriser les pratiques à même de les diminuer. L'intérêt de production de données collectives serait aussi à développer pour favoriser ce recueil. Lever l'ambiguïté sur les notions d'égalité et d'équité des soins, en soulignant la nécessité de faire du sur-mesure pour s'adapter aux besoins des patients pourrait participer à légitimer ce recueil de données.
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